26 mai 2006

Taxonomie de Zendor -- Enchères


Enchères.

La Vente aux Enchères
La Vente aux Enchères
À la seule lecture du mot, on comprend déjà de quoi il s'agit. Le principe est si simple et colle si bien à notre société de consommation qu'on peut l'identifier spontanément quand il se présente. Conséquemment, les jeux d'enchères nous sembleront nombreux. Très nombreux même. Si nombreux en fait, que le fait d'identifier ce que sont les jeux d'enchères peut devenir une forme d'abus. Il est très facile en effet de relever tous les jeux qui existent utilisant un mécanisme d'enchères dans leurs règles. Mais cela en font-ils pour autant tous des jeux d'enchères? Trop souvent voit-on par exemple des jeux Amun-Re, Funkenschlag, Santiago ou Les Princes de Florence classés tout bonnement comme des jeux d'enchères alors qu'en vérité, ils emploient les enchères comme un mécanisme secondaire : une étape pour aboutir au coeur du jeu. À l'inverse, d'autres jeux feront l'unanimité simplement en se basant sur le fait que les enchères y sont omniprésentes.
Karawane
Karawane
Si vous avez déjà joué aux Boursicocotte, O zoo le mio, ou La Fièvre de l'Or, vous serez inévitablement tentés d'affirmer sans hésitation que ce sont des jeux d'enchères. Selon cette taxonomie, ils devraient être qualifiés autrement! Même La Vente aux Enchères (connu aussi sous les noms de Chefs d'oeuvres et Les Grands Maîtres), le classique jeu de Marvin Glass qui est sans doute le plus célèbre de tous ayant recours à ce mécanisme, ne peut pas vraiment être qualifié comme un véritable jeu d'enchères! Un jeu comme Karawane toutefois, qui, avec sa course de chameaux dans le désert, devrait nous convaincre d'être classé dans les jeux de parcours, est bel et bien un vrai jeu d'enchères! Confus?


Serengeti
Serengeti
Il importe d'abord de distinguer les jeux d'enchères comme une famille. Vous aurez noter en effet que l'arborescence illustrant le classement de cette taxonomie suggère des sous-catégories aux jeux d'enchères. Ce classement considère les jeux de spéculation, de majorité, de séries, de plis/levées et de gestion de risques comme étant des variations sur les jeux d'enchères, ou encore des jeux d'enchères plus sophistiqués. La plupart des jeux qui appartiennent à ces sous-catégories peuvent régulièrement inclure des enchères dans leurs règles. Qu'on pense à la règle qui détermine le premier joueur à chaque tour dans El Grande (jeu de majorité), à celle qui désigne le capitaine dans Manilla (jeu de spéculation) ou tout bonnement à la façon d'acquérir les séries de statues identiques dans Serengeti (jeu de séries), nous pouvons classer, de près ou de loin, ces jeux dans la famille des jeux d'enchères. Mais il existe également des jeux comme Acquire (jeu de spéculation), San Marco (jeu de majorité) ou Coloretto (jeu de séries) où l'on ne retrouve pourtant pas de règles intégrant des enchères mais qui entrent néanmoins dans la famille des jeux d'enchères. Comment cela est-il? Il en relève essentiellement de la définition que l'on donne à la famille des jeux d'enchères. Tout jeu qu'elle englobe pourrait en effet être défini ainsi : divertissement dont le défi consiste à obtenir des gains en surpassant, à court ou à long terme, les propositions ou les actions émises par ses adversaires. Maintenant si voulez comprendre pourquoi les jeux de spéculation, de majorité, de séries, de plis/levées et de gestion de risques entrent dans cette définition, il faudra lire les articles qui suivront celui-ci!

Modern Art
Modern Art
Dans un deuxième temps, il importe de savoir que le mécanisme des enchères en est un qui se suffit difficilement à lui-même quand on l'insère dans un contexte ludique. Les enchères sont un moyen d'arriver à une fin. Ils ne sont pas une finalité en soi. En d'autres termes, on a beau gagner des enchères, encore faut-il savoir à quoi nous servira ce qu'on a gagné! C'est ici que l'on peut distinguer le vrai jeu d'enchères de celui qui ne fait qu'utiliser les enchères au second plan. Le premier accordera peu d'importance à ce que le joueur fera avec ses acquis. Des règles seront sans doute rédigées pour permettre certaines stratégies de victoire mais ces dernières seront sans doute très limitées. Le second cependant, fera tout le contraire. Les stratégies à développer une fois les acquis obtenus seront beaucoup plus substantielles et plus riches, reléguant ainsi les enchères sur un plan secondaire.
San Francisco
San Francisco
C'est le cas par exemple des jeux comme Big Shot, Modern Art ou San Francisco, des titres qui sont généralement confondus comme étant de vrai jeux d'enchères alors qu'ils ne le sont pas. Dans le premier de ces jeux, la stratégie de placer judicieusement ses cubes achetés dans les différents quartiers devient la clé de la victoire. Dans le second, le défi des joueurs repose surtout sur les choix de leurs cartes-tableaux qu'ils mettront aux enchères afin de s'assurer de faire des points à la fin de la manche en possédant les oeuvres des artistes qui seront les plus populaires. Dans le troisième, peu importe le type d'enchère qu'on aura gagné durant le tour de jeu, le but sera surtout de savoir comment on place le bâtonnet pour faire des points en reconstruisant les quartiers de la ville.

Magellan
Magellan
Le jeu d'enchères pur deviendra difficile à concevoir si son auteur veut captiver un certain public. Condamné à n'être qu'un moyen d'atteindre un but, il faut dès lors que le mécanisme devienne plus important que le but lui-même. Ce but devra conséquemment être simple : marquer des points tout au plus; c'est-à-dire marquer des points de la plus simple façon qui soit, façon qui ne dépend pas d'une autre stratégie une fois les enchères terminées. Ces enchères, vous l'aurez évidemment compris, se devront également d'être omniprésentes dans le vrai jeu d'enchères. Les règles qui divisent un jeu en plusieurs phases ne peuvent automatiquement pas se qualifier comme jeu d'enchères pur (à moins que les autres phases soient aussi des phases d'enchères). Elles risquent en effet d'accorder plus d'importance au but qu'à la manière. Ceci explique pourquoi les vrais jeux d'enchères seront surtout des jeux courts et légers, pouvant difficilement s'adresser au joueur confirmé voulant consacré plus de 45 min. à un jeu. Mais il y a des cas d'exceptions, comme le Magellan de Tom Lehmann par exemple, qui soulève vraiment les tensions avec pas moins de 36 enchères ayant pour but de contingenter la participation des joueurs au fil de la partie, ou encore , conçu par celui devenu le spécialiste des enchères, maître Knizia, où les enchères remportées (21 au minimum dans la partie) détermineront aussi le pouvoir d'achat du gagnant pour les enchères ultérieures. Voilà deux exemples qui montrent bien comment tourner l'attention sur les enchères plutôt que sur le but. S'il fallait donner une définition au jeu d'enchère pur, la suivante (que Philippe m'a gentiment proposé) pourrait sans doute convenir : Divertissement dont le défi est d'atteindre la victoire en tirant habilement profit d'un mécanisme de mise aux enchères.

Norman Angell
Norman Angell
On pourrait croire avec ces affirmations que les vrais jeux d'enchères sont rares. Une hypothèse qu'il serait difficile d'appuyer compte tenu du fait qu'ils ne sont pourtant pas jeunes. On doit le premier d'entre eux (sinon l'un des tous premiers) à l'économiste anglais Norman Angell, célèbre pour son ouvrage The Great Illusion (qui a inspiré le chef d'oeuvre du même titre au cinéaste Jean Renoir en 1947).
The Money Game
The Money Game
Dans un but strictement pédagogique, Angell avait fait publier The Money Game en 1928 : un livre accompagné d'un trio de jeux de son cru dans lequel figurait un jeu d'enchères. Le jeu mettait en scène un ingénieur, ayant fait naufrage sur une île, qui essaie de vendre aux enchères ses marchandises aux habitants. Le gagnant étant celui des joueurs acheteurs ayant accumulé le plus de biens après un nombre de tours spécifié. C'était simple, standard et ça allait droit au but.

The Price Is Right
The Price Is Right
Il faudra attendre les années cinquante pour voir d'autres jeux d'enchères pures apparaître. Avec la venue du célèbre The Price is Right à la télé américaine, ils allaient prendre un tournant plus sophistiqué. La mode de l'époque voulant qu'on adapte toutes les émissions télés en jeux de société (c'était une manière pour l'industrie du jeu de s'adapter à ce nouveau loisir révolutionnaire qu'était la télévision), on vit apparaître chez la compagnie Lowell la première version plateau de The Price is Right en 1958. Le but était fort simple : être le premier à se procurer trois items par l'entremise d'enchères. Et le système était ingénieux : comme dans l'émission, il fallait enchérir sur une estimation de la valeur d'un item qui était présenté. Cette valeur était déterminée par des cartes avec des montants qui étaient secrètement distribuées à chaque joueur avant le début des enchères. La valeur correspondait à la somme de toutes ces cartes. Le joueur dont l'enchère était la plus près de la valeur de l'item remportait ce dernier. Mais la moindre enchère citée qui était au-dessus dela valeur de l'item éliminait le joueur qui l'avait annoncée. Il n'était pas impossible que les joueurs surenchérissent tous au-dessus de la valeur secrète de l'item présenté.

Bid It Right
Bid It Right
Le succès de l'émission télé ne faisant qu'augmenter d'années en années, une deuxième adaptation ludique allait paraître en 1964, cette fois chez Milton Bradley. Intitulé Bid it right, le nouveau format se distinguait du premier par une toute autre manière de faire des enchères. À vrai dire, cette adaptation ne ressemblait plus vraiment à l'émission qu'elle était sensée représenter. Chaque joueur recevait 15 cartes avec les mêmes valeurs (10$-150$), lesquelles allaient servir à acheter les items vendus un à un à chaque tour. Les enchères s'effectuaient par une révélation simultanée de chacune des cartes préalablement choisies par chaque joueur. La plus haute mise l'emportait et toutes les cartes misées étaient ensuite défaussées. Si deux cartes de même valeurs étaient révélées par plusieurs joueurs, ces dernières s'annulaient mutuellement et n'étaient pas considérées dans les enchères. Le gagnant était le joueur ayant amassé le plus haut total avec la valeur cumulée de ses acquis en fin de partie.

Stupide Vautour
Stupide Vautour
Si vous avez cru reconnaître le célèbre Stupide Vautour d'Alex Randolph, vous ne vous trompez pas. Les deux jeux semblent différer seulement par le thème, par le nombre de joueurs et par les 24 ans qui les séparent dans leurs années respectives de parutions. L'histoire ne nous dit pas si Randolph était derrière Bid it Right. Ce qu'on sait toutefois, c'est que les autres " vrais " jeux d'enchères qui sont parus entre les sorties commerciales des deux jeux sont rares (toujours selon cette taxonomie bien sûr). Et encore aujourd'hui, près de 20 ans après la première édition de Stupide Vautour, on en dénombre toujours très peu. C'est du moins le constat qu'on peut faire quand on prend la liste de jeux affichés sur Ludigaume : sur les 500 qui y figurent, on ne compte même pas 10 jeux d'enchères purs! Pour tous les voir, cliquez ici.

Ceci dit, il conviendra de conclure cet article en énumérant les différents types d'enchères que l'on peut retrouver dans les jeux qui les emploient.

High Society
High Society
-Enchères anglaises : Ce sont les enchères classiques. Celles que l'on retrouve dans la plupart des jeux utilisant le mécanisme des enchères, où il ne suffit aux joueurs que d'affirmer ouvertement leur désir de surenchérir sur un prix précédemment annoncé.
Vrais jeux d'enchères anglaises : High Society, Magellan, L'Encanteur, Caramba (Schacht)
Jeux utilisant des enchères anglaises : La Vente aux Enchères, Modern Art, Manilla, Big Shot , Palazzo, Giganten, Elfenroads.

Collection Particulière
Collection Particulière
-Enchères cachées : Ce sont des enchères à information incomplète. Les pouvoirs d'achats des joueurs sont toujours dissimulés des adversaires. Le temps venu des appels d'offres, les mises sont choisies secrètement et révélées simultanément par tous les joueurs.
Vrais jeux d'enchères cachées : Aux Pierres du Dragon, Mutiny, Karawane, Stupide Vautour, Collection particulière.
Jeux utilisant des enchères cachées : Zoosim (O zoo le mio), Modern Art, Titicaca, Colorado County, Thrill.

-Enchères hollandaises : On parle ici d'enchères où le prix de l'offre est fixé au départ et diminue ensuite, jusqu'à ce qu'un joueur décide d'acheter au prix alors indiqué.
Vrais jeux d'enchères hollandaises : Aucun d'édité à ce jour.
jeux utilisant des enchères hollandaise : Die Kaufleute von Amsterdam

-Enchères japonaises : Enchères où les joueurs doivent payer à tour de rôle pour maintenir leur participation aux enchères. Le gagnant de l'offre est le joueur qui se sera maintenu le plus longtemps alors que tous les autres auront arrêté de payer.
Vrais jeux d'enchères japonaises : Non Merci
Jeux utilisant des enchères japonaises : Mogul

Medici
Medici
-Enchères à un tour : Une variante des enchères anglaises, où les joueurs ne peuvent faire qu'une seule offre à tour de rôle et ne point surenchérir ultérieurement.
Vrais jeux d'enchères à un tour : Râ, Medici (version originale)
Jeux utilisant des enchères à un tour : Modern Art, Industria

William Vickray
William Vickrey
-Enchères de Vickrey : Elles tiennent leur nom de leur défunt inventeur, William Vickrey, récipiendaire du prix Nobel d'économie en 1996. Les enchères de Vickrey sont celles qui furent adoptées pour le célèbre site eBay. Il s'agit d'une variante des jeux d'enchères cachées, laquelle a ceci de particulier que le meilleur enchérisseur paiera le montant de la deuxième plus haute enchère proposée.
Vrais jeux d'enchères de Vickrey : Aucun d'édité à ce jour.
Jeux utilisant des enchères de Vickrey : Das letzte Paradies

-Enchères à somme nulle : Les enchères en somme nulle ne sont pas un type d'enchères à part entière mais plutôt une caractéristique supplémentaire aux types d'enchères ci-haut. Elles se distinguent du fait que le montant déboursé pour l'offre est redistribué à un ou plusieurs autres joueurs.
Vrais jeux d'enchères à somme nulle : Aucun d'édité à ce jour.
Jeux utilisant des enchères à somme nulle : La Fièvre de l'Or, Fabrik der Träume, Boursicocotte, Serengeti, Santiago, Goa, Die Weinhandler.

Dolce Vita
Dolce Vita
-Enchères démocratisées : Ici aussi nous avons plutôt une caractéristique supplémentaire venant enrichir l'un des types d'enchères ci-haut mentionné. Alors qu'une mise en enchère normale récompense uniquement le plus offrant, les enchères démocratisées permettront aux autres enchérisseurs de faire un gain en fonction du montant qu'ils ont proposé respectivement.
Vrais jeux d'enchères démocratisées : Dolce Vita, For Sale
Jeux utilisant des enchères démocratisées : Amun-Re, Evo, Die Fürsten von Florenz, Funckenschlag, Vom Kap bis Cairo, Fantasy Business.

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3 Commentaires:

À 26/5/06 19:01, Anonymous Anonyme a dit...

Encore bravo pour la qualité de tes recherches et la clarté de tes écrits.

 
À 8/10/06 12:59, Anonymous Anonyme a dit...

Je l'ai déjà dit mais j'adore l'idée de cette taxonomie richement documentée et complète...
J'aimerais établir sur cette base une "ludothèque idéale", composée uniquement de jeux indispensables (au sens ludigaumien ;-) ) qui comprendrait un peu de tout, parmi les meilleurs de chaque catégorie.
J'attends donc avec impatience (et comme beaucoup) la suite de cette magnifique taxonomie !
Merci en tous cas pour ce qui a déjà été écrit.

 
À 8/10/06 13:27, Blogger Philippe a dit...

J'imagine que Pierre viendra lui-même te répondre, mais de ce que je sais, il est fort occupé avec son nouvel emploi. Il m'a cependant promis le prochain article pour très bientôt. On l'attend tous avec impatience. :)

 

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