25 avril 2006

De les jeux et l'éducation


" Le jeu doit rester un jeu ", tel est le slogan d'une nouvelle campagne de sensibilisation, au Québec, à l'intention des joueurs compulsifs, ceux qui perdent leur fortune personnelle dans différentes loteries. Pourtant, même si je ne joue jamais de sommes d'argent, comme la plupart d'entre nous, parce que notre forme de jeu diffère de celle des casino, je crois qu'il nous ferait grand bien de méditer sur cette phrase.

Comme un roman
Comme un Roman, de Pennac
Je me retrouve souvent au coeur de discussions portant sur les vertus pédagogiques des jeux de société que nous pratiquons. On s'en doute bien, Jungle speed, Puerto Rico, Les Loups-garous et Dvonn développent tous différentes aptitudes, que je ne peux malheureusement pas nommer, faute de connaissances exactes. Ici même, notre cher Gourou raconte comment il est arrivé à inclure une période de " Résolution de problème par le jeu " à l'horaire de l'école où il travaille. Un autre instituteur a demandé à ses élèves de lire les règlements d'un jeu et d'en jouer une partie, au lieu de fabriquer de bêtes tests de lecture. Les résultats me semblent très impressionnants.

Étant professeur moi-même - ça me fait au moins un défaut! -, je me suis intéressé à la question, essayant de voir comment je pourrais intégrer le jeu dans mes cours. Plusieurs études démontrent effectivement que le jeu demeure une des méthodes pédagogiques les plus efficaces.

Daniel Pennac
Daniel Pennac
Au risque d'en surprendre ou d'en choquer quelques-uns, je m'interroge sur le bien-fondé de cette approche et de cette obsession à intégrer nos jeux dans les écoles. Il n'existe pas de meilleur moyen que de forcer quelqu'un à lire pour lui enlever le goût de la lecture. Daniel Pennac, écrivain français de renommée mais surtout instituteur dans des milieux défavorisés, commence son célèbre essai Comme un roman ainsi. " Le verbe lire ne supporte pas l'impératif. Aversion qu'il partage avec quelques autres : le verbe aimer? le verbe rêver? On peut toujours essayer, bien sûr. Allez-y : Aime-moi! Rêve! Lis! Lis! Mais lis donc, bon sang, je t'ordonne de lire! " Je crois que ce romancier aurait pu ajouter jouer à sa liste? " Joue! Allez, vas-y! Joue! Aie du plaisir! Mais vas-tu t'amuser bon sang! Je te l'ordonne! "

Pourquoi aimons-nous jouer? Pourquoi aimons-nous lire? Je ne le sais pas, je spécule. Pour s'échapper, à l'occasion, des contraintes du monde. Parce que nous n'y sommes pas obligés. Pourquoi chacun déteste subir un examen alors que les jeux questionnaires constituent probablement la catégorie ludique la plus populaire, tant à la télévision que sur notre table de cuisine? Trivial pursuit, Pictionary et autres Cranium se vendent à des millions d'exemplaires et pourtant, rien ne les distingue d'un test de fin d'année! Un examen vous donne un diplôme, qui vous ouvre les portes d'un emploi. C'est très utile! La réussite à votre examen de conduite vous donne la possibilité d'opérer librement un véhicule motorisé. C'est encore très utile! Gagner une partie de Scrabble ne vous apporte absolument rien d'aussi concret et immédiat. Je pratique le Boggle depuis des années et je crois n'avoir jamais employé un seul mot que j'y ai appris. Toutefois, nous savons tous ici ce que nous choisirions devant l'alternative d'un Jarnac et d'une évaluation de nos connaissances à la fin d'un cours d'histoire. Comment expliquer ce paradoxe sinon par le fait que le jeu reste justement une activité gratuite et inutile? Que la pédagogie tue littéralement le plaisir?

Joueuses
Détourner la fonction du jeu le tue parce que ça le dénature. Donnez une fonction autre que l'amusement à Dungeon Twister, demandez à vos enfants un compte-rendu de partie avec les implications mathématiques de tel choix d'action, elles sont nombreuses, et vous venez de les chasser à tout jamais de cet univers. Je ne veux pas savoir ce que j'apprends quand je joue, je veux juste jouer. Je ne veux rien apprendre quand je lis un roman ou un poème, je veux simplement lire un livre et vivre des émotions, comme autour de Mare nostrum, mon jeu favori. À la limite, j'y vois un acte de résistance, autant pour la lecture que pour le jeu, contre cette société d'excellence, contre ces modèles de performance que l'on nous impose, où tout doit toujours servir à quelque chose dans l'immédiat (" À quoi ça sert des cours de littérature, je vais être infirmière? "), où l'on veut un emploi stable, très payant, des enfants, une conjointe - je parle pour moi -, une maison, une voiture, des amis; où l'on doit manger bio, sans OGM, faire des voyages, de l'activité physique pour se tenir en forme, se brosser les dents, se cultiver, s'épiler, avoir plusieurs orgasmes à la fois! Non! Laissez vos enfants lire, laissez-les jouer, et ne leur demandez rien en retour! " Le jeu doit rester un jeu. "

4 Commentaires:

À 25/4/06 18:18, Anonymous Anonyme a dit...

Vivre le jeu libre !

J'ai bien aimé cette lecture ;)

JG

 
À 25/4/06 23:11, Blogger Pierre a dit...

Je crois Christian que tu vas trouver un allié en la personne de Bruno Faidutti! J'en veux pour preuve cet article qu'il a écrit en novembre 2004 : http://www.faidutti.com/index.php?Module=divers&id=360

 
À 26/4/06 04:53, Anonymous Anonyme a dit...

Je ne sais plus qui dit que le jeu n'est que dans la posture qu'on adopte par rapport à l'objet. Ainsi, un jouet ou jeu peuvent ne pas en être un pour qui ne veut pas jouer avec. Un objet quelconque ou une situation de la vie peuvent devenir des jouets ou des jeux. Rien n'est dans l'objet mais tout dans la manière dont on l'appréhende.

 
À 28/4/06 23:13, Anonymous Anonyme a dit...

J'ai bien aimé la lecture de ce blog. Et si j'en retiens quelque chose, c'est que le jeu pour apprendre, ce n'est plus du jeu. Par contre, on apprend beaucoup en jouant, et si, après coup (ou même pendant), on arrive à voir ce qu'on a appris, et le comment, le pourquoi on a appris (d'autres parleraient de métacognition), c'est un avantage indéniable des activités ludiques. Tous s'entendent pour dire que pratiquer des sports, quand bien même que ce soit pour le plaisir, entraîne son lot d'apprentissages. Pourquoi les autres activités ludiques se verraient-elles coupées de tout lien avec cet acte magique: apprendre? Il ne faut pas forcer les choses, mais quand elles viennent d'elles-mêmes, autant en tirer parti!

 

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