Les Jedi de Puerto Rico
C'est étrange comme certains sujets ont tendance à faire surface un peu partout simultanément. Je lisais récemment un excellent article de Mario T. Lanza, discutant de kingmaking et de certains comportements qu'on ne pouvait exiger de nos confrères joueurs. Aujourd'hui je tombe sur une bonne geeklist de Jason Little qui pose un certain nombre de questions aux usagers de boardgamegeek dont celle-ci et celle-là qui traitent à peu près des mêmes sujets que l'article précédent.
Maintenant, je le concède, le texte de Lanza est plutôt long. Je me permet donc d'extraire et de traduire certains passages qui me semblent particulièrement intéressants.
Parmi les joueurs avec qui je déteste jouer, il en existe une sorte qui m'exaspère particulièrement. Ce sont les joueurs qui se considèrent les plus aptes et les plus expérimentés à un jeu particulier. Jeremy Avery a justement appelé ces prétendus experts Les Jedi de Puerto Rico. Ces joueurs ont déterminé le coup optimal pour chaque situation de jeu et sont offensés quand un adversaire "incompétent" commet un coup sous-optimal. (ma traduction)
Selon Lanza, ces Jedi ont parfois tendance non seulement à offrir leurs conseils, mais même à tenter de forcer la main du joueur dont c'est le tour. Un comportement, je dois bien l'avouer, qui me choque. (Bien qu'il me soit arrivé, je le confesse, d'être exaspéré par le coup arbitraire d'un adversaire qui n'est plus dans la course.) Pour ne pas être en reste, Lanza offre sa perspective de ce qu'un joueur est en droit de s'attendre et de ce qu'il ne peut exiger de ses adversaires:
Même si les chances de victoire d'un joueur tendent vers zéro, attaquer les troupes d'un adversaire dans le but avoué de bénéficier à son petit ami est carrément mal. N'importe qui se sentirait victime d'un biais externe aussi évident.
Il arrive cependant parfois qu'un joueur se sente victime de décisions qui paraissent arbitraires ou qui semblent être biaisées par des facteurs externes et suspects. [...] Dans un tel cas, l'accusé n'est en aucun cas obligé de défendre ses actions. Il est probable, surtout dans un nouveau jeu, que les coups d'un joueur soient exploratoires voire arbitraires. Parce qu'il est impossible de véritablement savoir que quelqu'un est motivé par un biais externe, nous devons à tous le bénéfice du doute.
Naturellement, il est facile de se sentir lésé lorsque l'on fait l'objet du coup décisif d'un kingmaker. Normalement, les joueurs devraient viser leur bénéfice direct (ou indirect) ou alors ne bénéficier à personne en particulier. De cette façon les joueurs démontrent qu'ils ne sont pas biaisés. À l'opposé, il n'est pas injuste que les joueurs agissent selon un biais formé à l'intérieur du contexte de la partie. Comment un joueur peut s'indigner lorsque sa victime, au moment décisif, donne la partie à un autre? Ce genre de kingmaking est le reflet de la diplomatie du monde réel. (ma traduction)
Évidemment ce genre de remarque ouvre la porte toute grande au kingmaking. Lanza ne le condamne d'ailleurs pas et, à son propos, il dit ceci:
La clé d'un bon geste de kingmaking réside dans sa justification. Le kingmaking arbitraire, fait sans ou avec peu de raisons, sera considéré un geste brusque, potentiellement répréhensible. Lorsque vous faites du kingmaking, soyez à tout le moins prêt à vous expliquer. (ma traduction)
La partie la plus intéressante de l'article reste sans doute celle où Lanza décrit l'éventail de toutes les raisons qui peuvent motiver un coup. Selon lui, et selon moi, un joueur a le droit d'invoquer l'une ou l'autre de ces raisons et aucun Jedi n'a à lui reprocher:
Je suis libre de déterminer mes objectifs et les moyens à prendre pour les réaliser. Je peux tenter un coup risqué pour la victoire qui, s'il échoue, aura des conséquences dramatiques. Je peux jouer de manière conservatrice. Je peux jouer pour améliorer ma position quand j'ai déjà concédé la victoire. Je peux attaquer le meneur. Ou encore je peux marcher sur le second ou le troisième joueur dans la poursuite de mon but. Je peux jouer d'une façon dans un partie et de façon totalement différente, et totalement inconsistante, dans la suivante. Chacune des décisions que je prend m'appartient totalement. Bien qu'être l'objet de l'une de ces décisions peut paraître injuste, chacune d'elles est aussi légitime que la suivante. Si vous souhaitez m'offrir votre avis, je vous écouterai, mais soyez prêt à vous la fermer et à vivre avec les conséquences si je choisis autre chose.
Jouer un coup sous-optimal, ne serait-ce que pour concrétiser une menace ou une réponse promise, dépeint un portrait du joueur. La constance d'un joueur ajoute du poids à ses promesses ou ses menaces futures. [...] L'argument qu'une partie ne devrait être jouée que par et pour elle-même n'est pas une vérité universelle. Selon moi, les joueurs jouent suivant leurs propres règles, pour leurs propres raisons, et de la façon dont ils le souhaitent. (ma traduction)
Pour terminer l'article de Lanza, je souligne un petit passage à l'attention de Pierre et de Paul, pour alimenter la désormais célèbre saga de l'empereur: "J'admire l'humilité et je déteste l'arrogance. Si les circonstances me forcent à choisir entre un joueur arrogant et un autre, vous pouvez deviner lequel fera l'objet de mon attaque."
Je reviens brièvement sur la geeklist que j'ai mentionnée plus haut. Les commentaires (1, 2) présentent en effet les réponses de bon nombre de joueurs aux questions soulevées par Lanza. On y observe un certain portrait des joueurs américains où se distingent essentiellement deux camps: les Jedi de Puerto Rico et les autres.
Et vous, où vous situez-vous?
2 Commentaires:
Suivez cet article en lisant Les Siths Caylusiens!
Tout ceci n'a bien entendu rien à voir avec les "Jedi" de Jedisjeux...
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