L'effet Palmarès
S'il existe un point commun à plusieurs sites Internet portant sur les jeux de société, c'est bien ce désir de classer les jeux, de construire des palmarès où l'on cherche souvent, sans se l'avouer, le meilleur. Tric Trac ajuste la note moyenne selon la présence de scores parfaits, 5/5, ou médiocres, 1/5; BGG recalcule la moyenne en ajoutant une quantité avis « moyen », etc. Chacun avec une méthode qui lui est propre.
Toutefois, cet exercice m'a fait réfléchir, surtout lorsque la question de « l'an prochain » s'est pointée. Autant j'aime et consulte régulièrement les palmarès, un peu comme tout le monde, autant je crains de répéter ce travail. Pourquoi? Simplement parce qu'il me semble exister un « effet palmarès » qui influence de façon non négligeable les palmarès existants et qui, paradoxalement, nuit à notre culture ludique. Je m'explique. Plusieurs facteurs externes au jeu lui-même altèrent déjà notre jugement : l'état mental ? fatigue, stress ?, les autres joueurs, la bonne ou mauvaise explication des règlements, le nombre d'heures de jeu consécutives, voire l'estomac! Généralement, nous repérons ces facteurs (quoique...) et nous en faisons abstraction (je l'espère!) lorsque vient le temps de se prononcer sur la valeur d'une oeuvre. Par exemple, il m'arrive de dire : « Je n'avais pas envie de jouer à un Wargame ce soir-là. », ou encore « Il faisait trop beau et je rêvais d'un Frisbee! ».
Par contre, on ignore souvent qu'avant même l'ouverture de la boîte et le placement des « titoms » (néologisme traduisant « Meeples »), les palmarès consultés ont changé quelque chose. Pourquoi découvrons-nous ce jeu-ci plutôt qu'un autre? Nous qui manquons toujours de temps pour s'adonner à notre passion, voire jouer une seule partie de toutes les boites sur les étagères! Rendons-nous à l'évidence, il y a de fortes chances que les fameux palmarès aient joué ce rôle. En même temps, c'est normal. Je veux dire, on assiste au même phénomène en littérature, au cinéma et partout ailleurs! Les gens ne peuvent tout voir, tout lire et s'orientent avec différents guides vers ce qu'ils espèrent le meilleur. Je trouve même souhaitable qu'une oeuvre de qualité profite de cette forme de publicité.
Le Code Da Vinci ou
Anges et Démons?
Puerto Rico
TT : Puerto Rico est deuxième, près des Loups-garous;
BGG : Puerto Rico est premier; et ne sera probablement pas délogé par Caylus;
Dragons Nocturnes : Puerto est premier, pratiquement le double des points de la deuxième place;
Bruno Faidutti : « Incontournable », c'est-à-dire la crème de la ludothèque idéale;
François Haffner : « Coup de coeur » (seulement une cinquantaine de jeux ont ce titre chez ce collectionneur).
Évidemment, un néophyte parcourant les palmarès risque fort de tomber sur Puerto Rico. Remarquez, il n'y a pas tant de mal, je ne remets pas en question le génie de PR. Malheureusement, on se retrouve devant une concentration évidente (une convergence?) : la variété diminue. Nous consultons les palmarès, oui, mais rarement au-delà des premières pages... Pourquoi s'intéresser aux « moins bons jeux »? Et si chacun a l'occasion de se prononcer, reconnaissons que certains types de joueurs parlent moins et moins fort. Si un public plus large s'exprimait, Puerto Rico dominerait-il autant? S'il dominait moins, y jouerait-on autant? Lui vouerait-on un tel culte? Vous voyez la spirale.
Eugène Ionesco
Rhinocéros
Bref, je consulterai toujours les palmarès, ils jouent un rôle important. Mais je m'en méfierai. Ils ne demeurent, au reste, que l'avis d'autres personnes.
2 Commentaires:
Selon Kenneth Hite:
"So I [...] discovered a deep and abiding hatred for Puerto Rico -- the game that combines the excitement of colonial administration with the rigor of a German boardgame about colonial administration."
http://www.gamingreport.com/modules.php?op=modload&name=Sections&file=index&req=viewarticle&artid=179
Bravo pour ce texte pertinent et agréable. Merci et longue vie!
Publier un commentaire
<< Page principale